La texture thématique de ce troisième roman de Ferdinand Farara porte sur l’enjeu Gladys. Le Grand père transmet le sujet d’investigation à son petit-fils Jeff par l’entremise de la mère de celui-ci. Alors que le père l’en dissuade, même par des menaces voilées, la mère pousse le fils à partir sur les traces de Gladys.

Par un concours de circonstances, Jeff finit par retrouver Gladys que les aléas de la vie ont poussée à la prostitution. Le véritable amour, qui naît entre les deux jeunes, va constituer le nœud gordien entre le père et le fils et aboutit à un questionnement philosophico-théologique sur la tolérance du rachat chez les humains. Il s’agit de voir si une prostituée peut devenir une épouse complète au foyer.

Le conflit qui naît entre la mémoire et la réalité structure le rapport du « je » à l’objet désiré et pose le problème d’une énonciation conflictuelle : entre le « je » du fils foudroyé par Eros et l’Ethos d’un père mémorialiste, l’équation se pose en termes d’angoisse existentielle.

Le roman nous replonge dans la problématique de la transmission des valeurs qui traverse d’ailleurs les trois textes « fararaéns », à commencer par l’écriture elle-même. Le romancier se fixe, et avec nous, un horizon d’attente qui se résume à sa curiosité de désarticuler l’énigme du Grand père, sa symbolique et sa poétique : Grand père est-il devenu une porte, un between qui s’ouvre à la fois sur le passé et le futur, sur un dedans et un dehors ?

Cette interrogation ouvre la voie à des duos conflictuels qui inondent la société de l’œuvre. Entre Jeff et son père, la question œdipienne ne tarde pas à resurgir. Entre le fils et sa mère, plane l’ombre de Don Dieg et Rodrigue dans le Cid de Corneille. Le Major Bamou finit par raturer l’adjudant Tarsis pour Raison d’Etat, en dépit de leur complicité professionnelle. Le Père Chaminade devrait se passer du refus de son père biologique pour atteindre son objectif sacerdotal. Myriam en voudra à son père biologique de l’avoir empêchée de vivre sa vocation religieuse. Même l’instinct de survie et de conservation des animaux « au parc d’Assise » est une parfaite contradiction de l’envie humaine de détruire l’Autre qui gêne l’ascension sociale.

Dans l’ensemble du roman, cette atmosphère surchargée de conflictualité sociale se traduit par l’abondant usage de la conjonction « Mais » pour marquer justement l’effet d’opposition, de différence, de restriction.

Ces duos conflictuels finissent par susciter ailleurs des complexes identitaires dont les effets collatéraux ébranlent les assises sociales. Ainsi, Vinzalavzkayi tente d’assumer son existence émaillée de son passé traversé par l’ombre peu glorieuse de son mafieux père. Quant à Navis, dont le « syndrome de bâtard » est avéré, ses vaines tentatives de refoulement ont fini par développer chez lui le réflexe de la mort du père biologique et dont son père adoptif sera la victime désignée. Tous ces conflits familiaux, qui accouchent ailleurs de complexes identitaires, montrent bien que l’avenir et la paix du monde se trouvent dans la famille.

Le romancier aborde bien d’autres sujets non moins importants. Entre autres, nous pouvons retenir l’évocation de la pensée pangermanique qui entretient un lien privilégié avec la nature écologique. L’indexation de l’accointance du pouvoir traditionnel avec le pouvoir politique débouche sur la question de savoir si les chefs traditionnels sont véritablement les garants des us et coutumes ou les bras prolongés de l’administration publique et du pouvoir central. Par ailleurs, les implications désastreuses des familles dans la vie des couples mettent en exergue les difficultés des mariages interethniques. Il s’ensuit que le sort des veuves devient une véritable préoccupation à la fois sociale, culturelle et économique.

L’auteur n’a pas manqué de s’interroger longuement sur la responsabilité de la jeunesse dans la préservation des valeurs morales, sociales et culturelles. Son double statut, enseignant et religieux, lui a permis de projeter une audacieuse caricature de la jeunesse actuelle en manque de réceptivité, source de discernement et d’élévation de l’âme. Son objectif est, sans doute, de rappeler que l’art se contemple dans le silence et non dans le bruit dissolvant de l’intelligence qui affadit l’âme et le goût du beau. Ce renversement de la hiérarchie des valeurs, de la mode et de la musique notamment, est marqué par la permanence de l’effet héros qui désacralise le modèle archétypal pour imposer le fugace, le vulgaire brillant et furtif, alors que les vraies valeurs morales et artistiques se construisent et se maintiennent dans l’effort et le sacrifice salvateurs.

Quant au Père Chaminade, il va démarrer sa vie sacerdotale dans un de ces espaces, la cité de Pandora, qui lui réserve un accueil des moins amicaux : drogue, prostitution, meurtres et autres perversions sont les codes de conduite que l’Evangile doit abolir par la vie et l’action du jeune et nouveau Curé. Et celui-ci accepte volontiers d’être l’autre agneau immolé pour expier les péchés capitaux de cet « enfer » et rendre aux humains le morceau de terre qui leur revient, d’où IL FAUT SAUVER PANDORA!

Mais, que dire du rêve exutoire et purificateur qui clôt le roman ? Sans doute, il préfigure le syndrome du meurtre du personnage littéraire au nom de l’autorité de l’écrivain. Ici, l’auteur a choisi de jouer avec les nerfs du lecteur puisque le récit s’ouvre et se referme par cette sorte de théorie du complot de la mort de Gladys. L’auteur reste néanmoins un assassin au deuxième degré.

A vrai dire, Ferdinand Farara a atteint un niveau de maturité dans l’acte scripturaire. D’abord, par le schéma narratif, l’écrivain innove le rôle traditionnel que jouent le prologue et l’épilogue. En effet, l’un et l’autre constituent une partie du songe du narrateur rapportant le complot meurtrier de son père sur Gladys. En bornant le récit central par ces deux instances tragiques, l’écriture prend une allure cinématographique.

Le statut du narrateur, quant à lui, change selon les instances narratives, allant de l’intra à l’extra diégétique. Cette variation du statut du narrateur peut être mise en relation avec la vivacité du récit qui aborde simultanément divers sujets. L’espace littéraire, au sein duquel se jouent tous les scénarii, obéit à la même dynamique puisqu’il est à la fois imaginaire et réel; tantôt clos, ouvert ou éclaté comme pour caractériser davantage différents rapports et actions entre les personnages. Mais, la valeur sémantique de ces espaces est essentiellement dissimulée dans des constructions anagrammatiques dont l’auteur use subtilement pour ruser avec le lecteur.

L’écriture de Farara ne manque pas d’établir un dialogue avec son environnement de parturition. Quand il est autocitationnel, il s’inscrit dans la forme intertextuelle qui garantit, dans la perspective de Julia Kristeva, la solidarité spatio-temporelle entre les textes. On peut alors comprendre l’usage des mises en abyme qui émaillent le texte et ajoutent une dimension à l’aspect cinématographique évoqué plus haut. Finalement, nous sommes en présence d’un véritable kaléidoscope de notre modernité!

singlepost-ic Par chamwebmaster Catégorie : Non classé

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